Entreprenariat

L’Ikigai n’est pas juste un concept, c’est un véritable outil pour établir une stratégie entrepreneuriale

Illustration
En Japonais, Ikigai (生き甲斐) signifie « joie de vivre » et « raison d’être ». Dans la province d’Okinawa, il est perçu comme une raison de se lever le matin.
 
Si l’on s’en réfère aux idéogrammes, le terme Ikigai est la contraction de deux mots japonais : « Iki » que l’on pourrait traduire par « vie » et « Gai », que l’on pourrait traduire par « Résultat ». 
 
L’ile d’Okinawa est réputée pour sa concentration de centenaires unique au Monde. Le régime alimentaire de ses habitants a longtemps été mis en avant comme la raison principale de leur longévité. Une autre raison a été plus récemment régulièrement avancée : l’importance pour eux de ce concept et sa mise en application au quotidien.
 
A l’origine, trouver son Ikigai n’est pas forcément lié à l’activité professionnelle. Il s’agit plus d’un style de vie mêlant bien-être, joie de vivre, sens de la famille, entraide et vie en communauté, apprentissage et activité tout au long de la vie, et adoption d’une attitude positive et jeune. Tout cela n’étant possible que si l’on a trouvé sa propre raison d’être, le réel sens de sa vie : l’Ikigai.
 
Un terme popularisé et schématisé par un blogueur britannique en 2014.
 
Marc Winn est un Entrepreneur et Coach britannique.
 
En 2014, après un long travail personnel pour trouver sa raison d’être et après avoir aidé des dizaines d’Entrepreneurs à trouver la leur, il publie le schéma représentant l’Ikigai, qui est resté célèbre et qui est l’illustration de cet article. 
 
Pour arriver à cette schématisation, il s’est inspiré du Diagramme de Venn, qui est utilisé pour enseigner la Théorie des Ensembles.
 
D’un point de vue schématique, l’Ikigai est le point de rencontre central entre 4 cercles interconnectés :
 
  1. 1. Ce que vous aimez faire
  2. 2. Ce dont le Monde a besoin
  3. 3. Ce pourquoi vous pouvez être payé
  4. 4. Ce à quoi vous êtes bon
 
Trouver votre réponse à chacun de ces 4 sujets permet de d’aborder 4 thématiques qui sont au cœur de l’activité d’un Entrepreneur :
 
  1. 1. Sa mission : il s’agit de l’interconnexion entre ce que vous aimez faire et ce dont le Monde a besoin
  2. 2. Sa vocation : il s’agit de l’interconnexion entre ce dont le Monde a besoin et ce pour quoi vous pouvez être payé
  3. 3. Sa profession : il s’agit de l’interconnexion entre ce pour quoi vous pouvez être payé et ce à quoi vous êtes bon
  4. 4. Sa passion : il s’agit de l’interconnexion entre ce à quoi vous êtes bon et ce que vous aimez faire
 
Finalement, l’interconnexion entre la mission, la vocation, la profession et la passion représente l’Ikigai.
 
Attention aux intersections vides !
 
Le schéma de Marc Winn comporte 4 intersections vides. En réalité, ce sont les intersections entre 3 cercles à l’exclusion du quatrième. Elles représentent les ensembles non optimaux, parce qu’il y manque à chaque fois une composante :
 
  1. 1. Intersection entre passion et mission : nous faisons ce que nous aimons et qui apporte quelque chose au monde, mais cela ne nous permet pas d’être payé. Nous pouvons alors parler d’Ikigai sans revenus. Ces activités peuvent être faites durant le temps libre. En ce qui me concerne, je fais du bénévolat, notamment avec le Lions Club.

  2. 2. Intersection entre mission et vocation :  nous faisons quelque chose qui nous passionne et pour lequel nous sommes bons, mais qui n’a aucune utilité pour le Monde. Nous pouvons alors parler d’Ikigai sans utilité. Ces activités sont l’une des principales sources d’échecs de startups : lancer le produit qu’on aime, en en faisant un best-of-breed, mais sans Market Fit.

  3. 3. Intersection entre vocation et profession : nous faisons quelque chose que l’on aime, pour lequel nous pouvons être payé, qui est utile au Monde, mais pour lequel nous n’avons aucune aptitude particulière. Nous pouvons parler d’Ikigai sans compétence. En ce qui me concerne, il s’agit de la Production Artistique. Je sais faire pas mal choses, je pourrais être rémunéré, mais honnêtement, je n’ai pas le talent…

  4. 4. Intersection entre profession et passion : nous faisons quelque chose dont le Monde a besoin, pour lequel nous sommes doué, qui nous rémunère, mais que nous n’aimons pas faire. Il en ressort un sentiment de vide. Nous pouvons parler d’Ikigai sans cœur. En ce qui me concerne, la politique liée aux fonctions managériales dans les grands groupes rentre dans cette catégorie.
 
Atteindre l’intersection centrale, l’Ikigai, permet d’atteindre l’optimum entre ce qu’on aime, ce qui est utile, ce qui est rémunérateur et ce qu’on sait faire. 
 
Faire l’impasse sur une de ces quatre dimensions nous met en situation de déséquilibre :
 
  • · Dans le premier cas, nous sommes en situation d’idéalisme
  • · Dans le deuxième cas, nous sommes en situation de performance sans utilité
  • · Dans le troisième cas, nous sommes en situation d’imposture
  • · Dans le quatrième cas, nous sommes en situation de sacrifice
 
La démarche pour trouver son Ikigai s’applique parfaitement à un projet entrepreneurial.
 
Lancer un projet entrepreneurial est un choix structurant qui comporte une part de risques. Avant de se lancer, il est souvent conseillé de se poser 10 questions :
 
  • 1. Pourquoi créer mon entreprise et quelle est ma motivation ?
  • 2. Quel est mon projet ?
  • 3. Quels sont les moyens financiers à ma disposition ?
  • 4. Quels sont les moyens humains et les compétences dont j’ai besoin ?
  • 5. Quelle est l’organisation la plus efficace pour mener mon projet à bien ?
  • 6. Mon projet répond-il à un besoin et y-a-t-il un marché ?
  • 7. Ai-je besoin d’aide et si oui, laquelle ?
  • 8. Mon projet peut-il devenir économiquement viable et me permettre d’en vivre ?
  • 9. Quels sont les risques ?
  • 10. Mon plan est-il réaliste et atteignable ?
 
Prises individuellement, il peut être très difficile de répondre à ces questions. Cela nécessite un lourd travail d’introspection et d’honnêteté avec soi-même.
 
Cependant, la pertinence et la sincérité des réponses sera un facteur déterminant dans le succès ou non d’un projet entrepreneurial.
 
En s’intéressant à définir ce que nous aimons, ce dont le Monde a besoin, ce que nous savons faire et ce pourquoi nous pouvons être rémunérés, la démarche Ikigai pose un cadre méthodologique très efficace pour répondre à ces 10 questions-clés. Et ainsi, pour se mettre en meilleures conditions de succès avant de démarrer son aventure entrepreneuriale.
 
Ce que nous aimons : sommes-nous réellement motivés par notre projet et nous projetons-nous dans la durée ?
 
Je suis moi-même Entrepreneur, et je sais combien le parcours est difficile et combien les montagnes russes de l’entreprenariat peuvent être épuisantes. Avoir des succès le lundi et des échecs le mardi est le quotidien de l’Entrepreneur et peut mettre la motivation à rude épreuve.
 
La passion pour son projet et le plaisir à l’exécuter sont les premiers éléments absolument cruciaux pour se lancer dans l’aventure. Outre la motivation et la résilience, c’est également ce qui nous permettra d’avoir les ressources et le charisme nécessaires pour convaincre nos Associés, Employés, Investisseurs et Clients.
 
Sur ce point particulier de la démarche Ikigai, nous pouvons nous poser les questions suivantes :
 
  • · Notre projet correspond-il à ce que nous aimons, à nos valeurs ? 
  • · Nous permet-il d’atteindre un objectif qui nous est cher ? 
  • · Nous permet-il de nous énergiser ?
  • · Nous donne-t-il envie de convaincre et de rallier à notre cause ?
  • · Nous visualisons-nous dans sa réussite et dans le combat contre les difficultés pour y arriver ?
 
Si le projet concerne plusieurs Fondateurs, il est important que chacun effectue cet exercice et que l’Ikigai adressé par la future Entreprise correspondent à chacun.
 
Ce dont le monde a besoin : notre projet apporte-t-il une réelle réponse à un réel besoin ?
 
Une bonne idée n’a de valeur que si elle sert à quelqu’un. L’objectif d’une Entreprise est de vendre des produits ou services à des clients, en leur apportant de la valeur. Ce produit ou service doit répondre à un besoin, c’est ce qu’on appelle le Product/Market Fit.
 
Lorsque j’ai démarré mon aventure entrepreneuriale, je n’ai pas accordé assez d’importance à ce sujet, pourtant fondamental. Il y avait de l’appétence, tant au niveau des futurs clients que des prescripteurs, voire au niveau de certains investisseurs. En revanche, je n’ai pas passé assez de temps à identifier quel était le réel besoin et le réel impact attendu. Résultat des courses : 14 mois passés à construire des fonctionnalités inutiles en omettant de construire celles qui étaient attendues en priorité. Et une roadmap décalée de 14 mois…
 
Les bonnes questions à se poser à ce stade peuvent être les suivantes :
 
  • · Quel problème souhaitons-nous résoudre ?
  • · Notre projet y apporte-t-il une réponse satisfaisante et créatrice de valeur ?
  • · Quelle contribution souhaitons-nous apporter au Monde ?
  • · Répondons-nous à l’un des 17 Objectifs de Développement Durable de l’ONU ?
  • · Avons-nous validé nos réponses avec un échantillon représentatif de nos futurs clients ?
 
Avant d’apporter une réponse à un supposé besoin, il est indispensable de valider ce besoin. Cette étape de la démarche peut commencer de manière solitaire, mais il est primordial de rapidement se confronter à la réalité en interrogeant sa cible.
 
Ce pourquoi nous pouvons être payés : notre projet a-t-il un modèle économique viable ?
 
Nous parlons ici de notre Business Model et de notre schéma de rémunération. Pour s’inscrire dans la durée, une Entreprise doit générer du profit. 
 
Une fois que nous avons validé ce dont le Monde a besoin, notre Product/Market Fit, nous devons nous assurer qu’il est prêt à payer pour satisfaire ce besoin, et qu’il le peut. Pour générer le profit qui nous permettra de nous rémunérer et de développer l’Entreprise, notre produit doit être monétisé.
 
Me concernant, j’ai un projet protéiforme, mais la première étape est d’apporter des services de Conseil pragmatiques, rapides et adaptés aux Startups et Entrepreneurs. Afin de valider mon modèle d’affaires, j’ai discuté avec de nombreux Entrepreneurs et Dirigeants, mais aussi avec des Investisseurs. Aujourd’hui, mon modèle est validé et les Investisseurs agissent comme prescripteurs. 
 
Nous pouvons nous poser les questions suivantes :
 
  • · Notre cible est-elle prête à payer pour la solution apportée par le projet ? Le peut-elle ? Et si oui, combien ?
  • · Notre projet peut-il générer assez de chiffre d’affaires, de bénéfices et de trésorerie pour être durable dans le temps ?
  • · Pouvons-nous assurer notre vie en nous rémunérant au moins a minima dans les premiers temps ?
  • · Pouvons-nous atteindre un équilibre financier sans compter sur d’hypothétiques levées de fonds, prêts ou subventions, et prouver une capacité d’autofinancement jusqu’à un certain point ?
 
Cette dernière question est selon moi la réelle clé du succès. Viser un autofinancement, même en démarrant sur un périmètre plus petit que la cible finale, permet de prouver que nous pouvons créer une Entreprise avec des bases solides, autonome, résiliente, durable, et adaptable aux conditions de marché.
 
Ce à quoi nous sommes bons : avons-nous les compétences nécessaires à l’exécution de notre projet ou pouvons-nous les acquérir ?
 
Vient maintenant le moment de parler d’exécution. Nous avons un projet qui nous anime, qui est utile au Monde et qui est viable économiquement. La prochaine question est : sommes-nous capables de le mener à bien ?
 
En ce qui me concerne, il me manquait une compétence-clé : le développement d’applications. Sous-traiter entièrement cette partie aurait mis en péril la viabilité économique de mon projet. Mon premier objectif a donc été de sécuriser financièrement une année sabbatique, pendant laquelle je me suis formé. Je me suis donc inscrit au CS50 d’Harvard et au Wagon Paris. J’ai ensuite passé plusieurs mois à coder, tout et n’importe quoi, avec plus ou moins de réussite ! Mais j’ai finalement atteint le niveau où je suis capable de développer la version 1 de mes produits et les lancer, le temps de générer assez de revenus pour pouvoir embaucher sur cette partie.
 
A ce stade, nous pouvons nous poser les questions suivantes :
 
  • · Quelles sont les compétences indispensables pour atteindre notre objectif ?
  • · Les avons-nous ? 
  • · Sinon, pouvons-nous les acquérir ? A quel coût ? En combien de temps ?
  • · Pouvons-nous embarquer des ressources supplémentaires qui ont ces compétences ? Quel modèle : apport externe temporaire ou embauche ?
  • · Quelles sont nos lacunes ?
 
L’enjeu majeur de cette étape est la franchise et l’honnêteté avec soi-même. Il est crucial de porter un regard réaliste sur ce qu’on sait faire et ne sait pas faire. Beaucoup d’Entrepreneurs échouent dans l’exécution pour ne pas avoir passé assez de temps sur cette question. Ne soyons pas l’un d’eux !
 
De l’Ikigai à la stratégie.
 
Igor Ansoff, Professeur à l’Université Vanderbilt et Consultant en Stratégie, a écrit en 1965 : « la stratégie est la conception que la firme se fait de ses activités, spécifiant son taux de progression, les champs de son expansion et ses directions, les forces majeures à exploiter et le profit à réaliser ».
 
Après avoir travaillé sur notre Ikigai, nous avons les principales composantes de notre stratégie :
 
  • · Nos activités : ce que nous aimons faire et notre produit
  • · Nos champs d’expansion : ce dont le Monde a besoin et notre marché
  • · Nos forces majeures : ce que à quoi nous sommes bons et nos compétences-clés
  • · Le profit à réaliser : ce pourquoi nous pouvons être payés et notre modèle d’affaires
 
L’Ikigai devient donc notre mission stratégique.
 
Nous pouvons maintenant travailler sur le dernier point de notre stratégie : le Taux de Progression, notre Roadmap.
 
Notre roadmap nous permet de planifier dans le temps les actions et les jalons nécessaires à l’atteinte de notre objectif. Elle permet également de découper notre objectif en sous-objectifs intermédiaires, plus faciles à atteindre.
 
Lors de notre démarche Ikigai, nous avons peut-être identifié que notre Produit était ambitieux et nécessitait d’être découpé en livrables plus faciles à réaliser, ou que devions acquérir des compétences-clés pour atteindre notre objectif, etc. 

Comment construisons-nous le chemin pour atteindre notre objectif ?
 
Sur ce point, l’Ikigai peut également apporter des éléments de réponse. Par exemple, je sais faire du Consulting et du Management de Transition pour de grandes organisations et je peux être payé pour cela. Ce n’est pas l’Ikigai de mon projet entrepreneurial, mais c’est une étape me permettant de financer un projet ambitieux dont la construction prendra du temps.
 
En conclusion, utiliser le schéma popularisé par Marc Winn se révèle être un réel outil pour structurer sa pensée et sa démarche pour définir sa stratégie entrepreneuriale. Il permet de se poser les bonnes questions, dont les réponses permettront de formaliser son Pitch Deck, son Business Plan et sa Stratégie.
 
Alors. Et vous ? C’est quoi, votre Ikigai ?
 
Arnaud Rioche

Et si on en discutait ?