Ecologie
Repenser notre agriculture est la première urgence face au dérèglement climatique
Nos terres arables sont de moins en moins nombreuses et productives. Elles ne suffiront bientôt plus à nourrir l’Humanité. Durant les 100 dernières années, un milliard d’hectares de terres fertiles a disparu : cela représente plus de 15 fois la surface de la France. Dans le Monde, les sols stérilisés par la pollution couvrent quelques 220 000 km², dont près de 90% en Europe. L’agriculture intensive est la principale cause de ce terrifiant constat : le modèle actuel est une aberration écologique.
En France, plus de 60% des Agriculteurs généreraient des revenus négatifs sans les subventions. La nécessité de mécaniser la production d’exploitations de plus en plus vastes imposent aux professionnels des investissements qu’ils ne sauront pas amortir. Le recours à des intrants chimiques et la consommation induite d’énergie pèsent également sur leurs charges. Le modèle n’est économiquement pas rentable.
La destruction des sols par l’Homme met en danger sa survie. Les solutions existent, mais les mettre en place est maintenant crucial et nécessitera l’implication de tous pour changer notre modèle d’agriculture.
La destruction des sols atteint des proportions très inquiétantes.
L’agriculture intensive est à l’origine de l’érosion, du tassement, de l’acidification, de la pollution, de la salinisation et de la perte de nutriments et de biodiversité des sols. Chaque année, ce sont entre 25 et 40 milliards de tonnes de terres fertiles, constituant l’habitat de 80% de la biomasse et régulant le cycle du carbone et de l’azote, qui sont emportées.
Principale conséquence des labours profonds, les niveaux d’humus et de nutriments dans les sols ont baissé d’un tiers depuis 1950. Selon le GisSol, cela concerne 40% des surfaces agricoles françaises. Les sols sont épuisés et leur productivité chute : après avoir augmenté jusqu’en 1995, elle stagne ou régresse.
Le rythme de l’érosion est maintenant plus rapide que le processus de formation des sols. En Europe, l’érosion dégrade 33 millions d’hectares, soit 4% des terres arables, en augmentation de 90 000 hectares par an.
La salinisation des sols est causée par la surexploitation et l’utilisation de polluants chimiques. Selon la FAO, la salinité provoquée par l’Homme concerne 760 000 km² dans le Monde. En Afrique du Nord, où la situation est la plus inquiétante, le rendement des cultures est passé de 5 à 0,5 tonnes à l’hectare, générant une perte économique de plus d’un milliard de dollars.
L’agriculture actuelle est le deuxième émetteur de gaz à effet de serre en France.
Un rapport du Ministère de la Transition Écologique de 2019 indique que l’Agriculture représente 19% des émissions totales avec 85 mégatonnes de CO2. A l’échelle mondiale, la proportion atteint 24% selon un rapport du GIEC.
Il y a cependant une différence notable par rapport aux autres secteurs d’activité : la cause des émissions n’est pas tant la consommation énergétique que des processus biologiques liées à notre façon actuelle de produire.
Le principal problème est le méthane (CH4), principalement causé par la digestion des ruminants et donc par la filière bovine. Le méthane a un potentiel de réchauffement global (PRG) 25 fois supérieur au CO2. Cependant, il ne persiste dans l’atmosphère qu’une douzaine d’années, contre environ un siècle pour le CO2. Il est donc possible de penser que réduire nos émissions de méthane aurait un impact beaucoup plus rapide sur le dérèglement climatique que la réduction du CO2.
Le deuxième gaz à effet de serre causé par l’activité agricole actuelle est le protoxyde d’azote (N2O), conséquence de l’usage de fertilisants azotés (engrais, fumier). L’origine des émissions est liée au fait que les plantes n’absorbent qu’environ 50% de l’engrais appliqué aux terres agricoles, et rejettent le reste. L’agriculture représente les deux tiers des émissions de N2O qui a un potentiel de réchauffement global 300 fois supérieur au CO2, et persiste dans l’atmosphère au moins aussi longtemps, tout en étant l’une des principales substances appauvrissant la couche d’ozone.
Enfin, si l’on prend tout la chaîne de valeur alimentaire (production, transport, distribution, transformation…), la part des émissions de gaz à effet de serre dans le total français monte à plus de 30%, selon un rapport récent de l’Ademe.
La pollution fait baisser la qualité nutritionnelle de nos aliments.
L’Université de Washington à Seattle a mené une expérience simulant le niveau de CO2 dans l’atmosphère à horizon 2050, soit 568-590 parties par million contre 400 aujourd’hui, sur 18 variétés de riz différentes.
Cette étude parue en mai 2018 conclue une baisse de 10% de la quantité de fer, de zinc, de protéines et de vitamines B1, B2, B5 et B9, nécessaires à la conversion de nourriture en énergie par notre organisme, dans le riz. La cause envisagée est que le CO2 augmente le niveau de glucide de la plante lors de la photosynthèse, réduisant les protéines et les minéraux.
En Asie, environ 70% des calories et la plupart des nutriments viennent du riz. A l’horizon 2050, 150 millions de personnes supplémentaires risquent de souffrir de carences en protéines.
Une étude américaine de 2004 avait tiré des conclusions alarmistes en concluant que la perte de qualité nutritionnelle de nos aliments était majeure et que, par exemple, une pomme d’aujourd’hui était 100 fois moins nutritive qu’une pomme des années 1950.
Depuis, il a été largement démontré que cette étude comportait des biais méthodologiques et de confirmation et que les conclusions étaient à nuancer.
En revanche, des études plus récentes ont comparé non pas les fruits et légumes, mais les semis. Ces études ont permis de montrer que plusieurs facteurs ont bien un effet négatif sur la qualité nutritionnelle de nos aliments :
- · Depuis les années 1960, la recherche agronomique a mis l’accent sur la productivité des cultivars et sur l’utilisation d’engrais chimiques, ce qui a permis de décupler les rendements de légumes, fruits et céréales. Il en résulte un « effet de dilution » : l’augmentation de la concentration en nutriments n’est pas proportionnelle à l’augmentation du rendement
- · La dégradation des sols empêche les végétaux d’aller chercher les nutriments dont ils ont besoin. Malgré l’apport d’intrants (fertilisants, azote, phosphore, potassium…), l’équilibre ne se fait pas et les végétaux demeurent plus vulnérables aux maladies, ont une croissance plus lente et perdent en nutriments
- · L’augmentation du CO2 atmosphérique a un effet pervers : en accélérant le processus de photosynthèse, il accélère la croissance des végétaux et donc, en augmente le rendement. En revanche, la valeur nutritionnelle diminue : la plante stocke plus de glucose, au détriment de minéraux comme le fer ou le zinc
Il est aujourd’hui admis que si la tendance à la hausse des émissions de gaz à effet de serre se confirme, la teneur en fer dans le blé, le soja, le riz et la pomme de terre pourrait diminuer de 10% d’ici 2050.
L’agriculture actuelle est en faillite.
En 1950, il fallait 2,5 unités d’énergie fossile pour produire 1 unité de nourriture. Aujourd’hui, il en faut 13.
En 2016, les subventions représentaient 77% du revenu des Agriculteurs français. Soit 9Mds d’Euros. Ce ratio peut même atteindre 90% dans certaines productions spécialisées en élevage laitier.
Avec l’impact sur les sols, et donc sur son outil de production, l’agriculture est l’un des seuls secteurs d’activité à avoir décapitalisé ses dernières années. Ce système ne peut mécaniquement pas être rentable.
En parallèle, l’augmentation des gaz à effet de serre engendre une augmentation de la température moyenne sur Terre et provoque des phénomènes climatiques extrêmes. Les Agriculteurs en sont les premières victimes. La planification de la production agricole est de plus en plus difficile, les récoltes sont de plus en plus souvent anéanties par les intempéries, et les résultats financiers de ce secteur d’activité ne peuvent qu’empirer.
Il y a également un impact sur les rendements : 19% en moins sur les céréales entre 2021 et 2020 et jusqu’à -30% sur les prairies utilisées par les Éleveurs.
Déjà mécaniquement en faillite, l’agriculture française est dans un cercle vicieux qui nécessite des changements majeurs.
Une bonne nouvelle : le processus de destruction des sols est réversible.
Des exemples récents le prouvent.
En Angleterre, Eden Project a régénéré le sol mort d’une ancienne carrière de kaolin pour créer un complexe environnemental incluant des jardins.
Fermes d’Avenir a créé une ferme agroécologique inspirée de la permaculture sur une ancienne base aérienne proche de Paris.
Le Ministère de l’Agriculture définit l’agroécologie comme « une façon de concevoir des systèmes de production qui s’appuient sur les fonctionnalités offertes par les écosystèmes (…) en utilisant au maximum la nature comme facteur de production, en maintenant ses capacités de renouvellement ».
Par exemple, réhabiliter les haies permettrait de maintenir la biodiversité en abritant les auxiliaires de culture, contribuerait à stocker le carbone, à lutter contre l’érosion, à l’ameublissement des sols par les racines et in fine, augmenterait le rendement des cultures.
Couvrir les sols avec des légumineuses permettrait d’améliorer le rendement de la surface en photosynthèse et de fixer l’azote sans recours à des intrants chimiques, tout en consommant le carbone retiré de la photosynthèse par des cultures.
Assurer une réelle rotation des cultures en la couplant avec du pâturage permet également de favoriser la photosynthèse tout en évitant de retourner la terre. Cela favorise le développement de matière organique et in fine, le stockage de CO2.
L’agroécologie peut changer l’équation économique.
Des Entrepreneurs rendent l’agriculture raisonnée rentable, en s’appuyant sur les principes de permaculture, en réduisant la taille des parcelles, en mettant en place des circuits courts et en travaillant à l’insertion de chômeurs longue durée.
Les Jardins de Cocagne et Fermes d’Avenir sont des exemples parmi beaucoup d’autres.
En s’affranchissant des intrants chimiques et en évitant la mécanisation, les charges deviennent moins importantes. En adoptant les circuits courts, les intermédiaires ne sont plus nécessaires, et les revenus du producteur augmentent. Les comptes s’équilibrent.
Une ferme expérimentale dans le département de l’Eure mène des études depuis 2006. Cette ferme a prouvé qu’en adoptant les techniques d’une agriculture plus résiliente et plus vertueuse, un Maraîcher peut générer un SMIC en cultivant manuellement une parcelle de seulement 1 000 m².
Les solutions existent, et sont connues.
Les solutions sont là, mais souffrent encore de lenteurs dans la prise de décisions politiques et dans le passage à l’échelle.
La Recherche s’attaque de plus en plus au sujet de l’agroécologie et des plus en plus de publications sont disponibles. La mobilisation des acteurs agricoles se fait de plus en plus forte pour adapter les systèmes de production et les diversifier.
La Recherche et les Agriculteurs commencent à travailler de concert, et c’est une bonne nouvelle.
Mais c’est également à nous, Consommateurs, de nous adapter et de changer nos habitudes pour aider ce mouvement : nous pouvons acheter plus local, de meilleure qualité, en nous limitant à la quantité nécessaire, et adopter une alimentation plus vertueuse, plus végétale et plus seine.
Il appartient à chacun de nous de protéger la Planète et d’assurer la survie de notre système de production alimentaire.
En repensant notre alimentation, nous pouvons aider nos Agriculteurs à redéfinir leur mode de production pour le rendre plus durable et surtout, à le pérenniser.